Refus
Mardi
- Bon alors, ça se passe bien tes vacances ? Tu pars un peu, tu sors ?
Je m'applique à tremper ma tartine de confiture dans mon chocolat chaud. Mes yeux ne sont pas encore très bien ouverts et mon esprit est toujours un peu sous la couette. J'aime bien petit-déjeuner seule d'habitude, mais c'est vrai qu'il est quand même midi passé et que je vis en colocation. Ca devait arriver.
- Euh oui oui, je vais à Lille ce week-end pour Halloween ... normalement ...
- "Normalement" ?
- Si je trouve de l'essence en fait, j'ai vu qu'il y avait la queue ...
- Ah bah ça oui faut pas que tu t'y prennes à la dernière minute tu sais MOI l'autre jour j'ai fait la queue pendant 1h et j'avais que 3 voitures devant moi alors JE te conseille d'y aller entre telle heure et telle heure c'est mieux selon MOI et faut que tu évites les horaires de bureau sinon t'as aucune d'y arriver c'est le moment où tout le monde va faire son plein blablabla ... tu vois ?
Agression sonore du matin. J'ai juste envie qu'elle finisse de faire sa vaisselle et qu'elle me laisse avec le silence de la cuisine. Pas qu'elle me fasse un topo sur l'actualité, je sais bien que dehors c'est la dérive. J'ai bien compris qu'elle voulait que je sorte un peu de l'appartement. Elle ne m'a pas vu sortir depuis 4 jours, elle se pose des questions. Okay okay.
Je suis allée m'habiller et j'ai enfin respiré l'air de la rue. Pas longtemps en réalité, le temps d'atterrir dans une bibliothèque. J'ai avalé un livre de psycho qui trainait par là. Et puis j'en ai attrapé deux autres, à emporter cette fois-ci. On a annoncé la fermeture et je suis sortie. Il faisait nuit. La boulangerie était encore ouverte, celle où Léa achète son sandwich le mercredi. J'ai mangé en marchant jusqu'à chez moi, je ne voulais rien faire d'autre que marcher. C'est dans ces moments-là que j'écris le plus. Peut-être que j'ai besoin d'un mouvement pour aligner des mots, pour faire mes plans. Parfois le balancement régulier de mes pas me donne envie de chanter. C'est un peu plus gênant. J'ai pensé que ça aurait été bien de fumer une cigarette, l'air était doux, ça aurait été voluptueux, mais j'en avais pas assez envie. J'arriverai jamais à devenir fumeuse, on dirait.
Ca fait 4 jours que je lis. Lire lire fuir. Ca en devient presque mécanique. Ca occupe toute la place, ça empêche de penser au reste. J'ai le moral, il me semble. Tant que je lis. Je n'ai rien écrit depuis jeudi. Je n'arrive pas accepter la réalité. Ca serait comme de remuer le couteau dans la plaie. Raconter, écrire, rendre officiel. Non je ne veux pas sortir de l'eau, j'veux rester en apnée dans ma folie douce, mes rêves. Les seuls mots que j'écris sont des mots pour lui que je n'envoie jamais. Est-ce que ça soulage vraiment ?
Non, écrire est encore trop difficile, je refuse. Pourtant c'est juste des mots. Mais les mots inscrivent une réalité. J'essaye mais j'ai mal au coeur. Avant j'aurais probablement échouée dans un bar. Maintenant je me saoule de lecture. L'effet final est un peu le même. L'ivresse. Les yeux a demi-ouverts, l'oubli. Mais l'alcool est moins solitaire. Je ne vois personne c'est vrai. Mimie m'en a un peu voulu. "J'travaille moi tu sais, j'passe pas mon temps à me caresser les neurones à la fac". J'ai ri. C'est vrai ça, j'me caresse les neurones. On dirait que j'fous rien, j'suis là enfermée dans ma chambre sans bruit, sans personne. Les livres font tapis sur le parquet. Je chatouille mon nerf optique jusqu'au milieu de la nuit. Quand j'éteins la lumière, ça se complique un peu. Je gesticule, j'trouve pas le sommeil. Mon esprit se scinde en deux, une partie qui accepte, et l'autre qui refuse. Je me crispe, je lutte, je veux chasser ce duel. Folie douce, oh folie amoureuse, sentiments déraisonnables ... De quoi elle parle la dame ? J'sais pas, elle est bizarre.
Jeudi
Cher Lui -Elle écrit son nom au complet-,
Encore un message de sa part. Il va peut-être la trouver obstinée et il aura raison. Elle essaye pourtant de le laisser tranquille, de se faire à l'idée qu'elle ne le reverra plus, mais quelque chose en elle refuse de l'accepter alors que toute sa raison lui crie de ne pas s'entêter d'avantage. L'autre nuit elle a encore rêvé de lui. Il était là, fuyant, elle s'approchait décidée et elle l'étreignait pour qu'il sente son coeur battre trop vite et trop fort. Il ne bougeait pas puis il partait. Elle croit que ce rêve illustre assez bien son état d'esprit : elle a besoin de lui dire ce qu'elle ressent. Pourtant c'est à moitié inutile puisqu'il le sait sans doute déjà, mais à quoi bon se retenir quand l'envie est si grande, plus grande qu'elle ... Au fond, elle est pleine de stupidité et rien ne lui semble cohérent dans sa façon de penser. Elle ne le connait pas beaucoup, et cela fait un moment qu'elle ne le voit plus aussi régulièrement qu'avant. Avant, c'était bien, elle avait la certitude de le revoir chaque semaine. Avant, c'était l'euphorie, seule son absence la rendait mélancolique. Elle avait espéré qu'entendre son refus de vive voix l'aurait aidé à ne plus penser à lui. Ca ne fonctionne pas, elle ne comprend pas, elle refuse de comprendre. Une question revient toujours : pourquoi il ne veut pas la revoir ? Elle lui demande très sincèrement, sans colère, sans reproche, sans faux-étonnement, simplement parce qu'elle n'arrive pas à entendre et qu'elle a besoin de ses raisons. Elle n'a jamais voulu l'embêter, elle a seulement voulu trouver des solutions à son trouble, retrouver sa tranquillité. Ca n'est pas de sa faute à lui elle le sait bien. Elle lui demande de répondre, de lui expliquer ... Elle tâchera de ne plus lui écrire.
Elle lui souhaite des belles choses,
Elle signe.
Folie, folie qui ne cesse. Non ça ne soulage pas d'avoir écrit, c'est pire. Elle n'en parle pas, elle n'ose plus le dire, elle sait qu'il faut se forcer à tourner la page. D'ailleurs hier soir elle est allée rencontrer un garçon, tu vois elle fait des efforts. Il était gentil, intelligent, lui aussi avait les yeux clairs. Une fois rentrée chez elle, dans son lit, elle ne pensait qu'au professeur. Alors elle écrit pour lui des mots qu'elle n'envoie pas. Elle en avait mal et le sommeil ne venait pas. "Vas-tu cesser de battre autant ?" Ridicule. Quand elle étudie elle n'y pense plus, mais le soir quand il faut dormir ...
Oh et Mèl ? Oh, c'est certainement déjà fini ...