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Non, je parle de l'écriture personnelle, de ce mouvement qui va de l'intérieur vers l'extérieur pour exprimer ce qui s'est imprimé en soi - écrire pour dire son expérience, ses rêves, écrire pour dire son désir, l'attraper dans le filet des mots comme un poisson gigotant.
Celle que vous croyez, de Camille Laurens
Se laisser aimer
Décembre 2010.
C'était dans un bar.
C'est souvent dans les bars que ça commence.
Il faisait froid, et le vin coulait trop vite dans mon verre, elle me faisait signe de trinquer, et je trinquais.
Il était à ma droite, il parlait avec un petit japonais, je l'ai vu et j'ai dit : "Alors les amoureux, vous êtes homosexuels ?"
Il m'a regardé, perplexe.
On ne se connaissait pas.
"Vous buvez quoi ? Mais c'est de l'alcool de pédé ! Tu veux un peu de vin ? Allez bois ça, c'est meilleur !"
Je m'étais rapprochée dangereusement, sautant de chaise en chaise comme un petit lapin.
Un petit lapin soûl évidement.
Quand il m'a dit qu'il était allemand, j'ai dit "Waaaaaaaaah !"
Et mes yeux ont grandi également.
Quand il m'a dit qu'il était chercheur, je lui ai dit "Ich will finken mit dir".
Ca l'a fait rire. Il me dira plus tard que ma phrase n'était pas juste.
J'apprenais l'allemand vulgaire depuis seulement 3 mois.
Parfois il me raconte tout ce qu'on s'est dit à cette soirée, mais moi, je ne me souviens plus trop.
A part le moment où nous étions dehors, il mettait un peu de crème sur ses lèvres, et j'ai voulu qu'il m'en mette aussi.
"Non !"
"Allez !"
'Non !"
"Mais pourquoi ? Je ne te plais pas ?"
"Mais si mais ... je suis timide !"
J'ai adoré la façon dont il a dit cette phrase.
Moon a regardé ses mains, puis elle a déclaré que c'était un type bien, et qu'il fallait qu'on se revoit. "Donnez-vous rendez-vous ici, au même endroit, dans 3 jours à 20h !"
On a dit oui, il m'a écrit son mail sur un bout de papier, j'ai décrété que c'était illisible car je voyais flou.
Il semblait tout perturbé par mon humour.
Il avait mis un bonnet, il était mignon.
Il faisait froid partout cet hiver.
Partout sauf dans les bars. Et dans le lit de Mimi aussi. Quand on dormait l'une contre l'autre, et le bruit des gens dehors ne nous dérangeait jamais.
Les nuits d'ivresse se succédaient et le soleil avait disparu du quotidien.
Mais de toute façon, un soleil d'hiver ne sèche pas les larmes.
Je l'ai reconnu, dans ce même bar, au comptoir, et nos yeux se sont salués au loin.
Moi, lapin peureux, je ne savais pas bien pourquoi j'étais venue.
Lui non plus au fond.
Et pourtant on a pris un bus.
Et pourtant on s'est pris les mains.
Et moi, lapin sauvage, j'ai senti qu'il avait le coeur à s'attacher, alors au matin quand il est parti j'ai pensé qu'il n'y aurait pas de 3ème fois.
Et je l'ai vu disparaitre dans le couloir avec un regard triste.
Il est retourné dans sa ville à lui.
Il m'écrivait qu'il voulait me revoir et je ne voulais pas.
Mais je lui répondais toujours.
"Je ne pense pas que je suis capable d'aimer. Un jour peut-être que j'y arriverai, mais pas pour le moment, je crois. L'amour m'effraie"
"Avec Mimi, on a encore bu jusqu'à 6h du matin, on a dansé, on a chanté, on a ri"
"Je sais que je fais trop la fête en ce moment mais ça me permet de ne pas être triste"
Il y a eu Noël.
Nouvel an.
Mon nouveau travail avec les enfants -ce grand rayon de soleil.
Et puis il y a eu mon anniversaire.
C'est là qu'il est revenu, pour son travail encore, et pour venir à ma fête aussi. J'avais changé d'avis.
Rien n'était très certain entre nous. Je ne savais pas où il avait prévu de passer la nuit.
Alors au bout d'un moment j'ai dit "tu peux dormir chez moi si tu veux".
Et je lui ai donné la main.
Il me l'a serré fort.
Je ne savais pas ce que je voulais de lui.
Il ne savait plus quoi espérer de moi.
Et pourtant.