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Non, je parle de l'écriture personnelle, de ce mouvement qui va de l'intérieur vers l'extérieur pour exprimer ce qui s'est imprimé en soi - écrire pour dire son expérience, ses rêves, écrire pour dire son désir, l'attraper dans le filet des mots comme un poisson gigotant.
Celle que vous croyez, de Camille Laurens
Pas si simple
Samedi
Je me baignais tranquillement dans la mer.
Un requin me frôle de son aileron.
Il est énorme, il pourrait m'avaler sans peine en une seule fois.
Je me dépêche de rejoindre la plage.
On essaye de me persuader que je peux me baigner, qu'il ne m'arrivera rien, les requins ici ça n'existe pas.
Je le vois pourtant, son ombre grise au fond de l'eau.
On dirait même qu'il y en a deux.
Je me bats pour m'échapper au plus loin de la mer, en vain.
Et le gros requin qui m'attend patiemment, on dirait presque qu'il sourit.
Réveil en sursaut.
Ouf.
Ca n'était pas vraiment un cauchemar, je reprends vite mes esprits.
Mes paupières semblent peser une tonne, pourtant j'ai assez dormi.
Téléphone : un message.
Le dessinateur.
Il me demande comment je vais.
Me fait des bisous nocturnes.
2 mois qu'on ne s'est pas revu. La dernière fois c'était ici, dans ma chambre, la veille de mon départ dans le sud, j'étais au téléphone avec ma grand-mère sur le balcon, "tu veux que je t'achète des palmes pour les mains ? Je peux y aller demain ça ne m'embête pas tu sais", elle avait peur de couler au fond de l'eau, je ne l'aurais pas quitté des yeux pourtant, le dessinateur attendait dans mon lit, il mettait de la musique classique, et puis Satie, je m'en souviens, mais je ne me souviens plus du moment où nous avons fait l'amour, c'est si loin. Le matin il était en train de s'habiller quand j'ai ouvert les yeux, je l'ai ramené dans le lit contre moi et on s'est serré fort dans nos bras. Il ne voulait rien manger. Je l'ai suivi jusqu'à l'ascenseur, en pyjama, il a disparu dans ce gros cube métallique et je suis retournée me coucher. J'aurais voulu qu'il ne parte pas travailler tout de suite.
Je réponds à son message sans attendre.
Je lui raconte mon rêve.
Le remercie pour ses baisers nocturnes.
Je dis "ma copine est allée dormir chez son ex l'autre jour, je vais peut-être finir comme ces gens qui ne pensent qu'à leur travail, les relations amoureuses c'est compliqué !"
Il répond nooooon, il faut pas s'empêcher : on apprend sur soi avec les autres (ratages et souffrances compris), il dit qu'il pense à moi, il semble triste qu'on ait pas pu se voir cette semaine, il m'avait ramené quelque chose de Francfort.
Je m'imagine au cinéma avec lui.
Est-ce que ça serait comme avec elle ?
Je repense à Mèl, nous deux au cinéma, à nos mains qui allaient le long de nos avant-bras, et le garçon qui nous a demandé de nous décaler pour pouvoir s'assoir avec ses deux amis, on n'a pas bronché, j'aurais peut-être du, maintenant il y avait un accoudoir entre elle et moi, on avait peut-être pas l'air d'être un couple, deux filles ensemble c'est différent.
Elle me disait "c'est fou, tu n'es pas jalouse, pourquoi les autres filles sont jalouses et pas toi ?", les mots pour expliquer ne me sont pas venus, je ne savais pas bien, avais-je seulement le droit d'être jalouse, de lui en vouloir d'être toujours attachée à cette fille avec qui elle a vécu des choses avant moi, cette fille qui l'a quitté contre sa volonté à elle, petite Mél en demande d'affection, petite fille qui posait sa tête doucement contre moi le soir de notre rencontre dans ce bar, à la recherche d'un refuge, d'une consolation.
J'ai repensé à Cat, quand il me parlait des autres filles, il y a un an, et j'écoutais, et je posais des questions, tant que c'était le passé, j'adorais qu'il se confie à moi, mais il y a eu le soir où ça n'était plus du passé, il y en avait une autre, elle était chez lui, je ne pouvais pas venir, et je n'ai pu retenir ma tristesse sous forme d'insulte, là devant ce bar à Lille, juste avant de raccrocher. Mais de quel droit pouvais-je lui en vouloir ? Nous ne nous étions rien promis.
Jeudi nuit. Mèl avait sa tête sur mon ventre, recroquevillée comme une enfant, elle me racontait sa "bêtise", mais elle ne voulait pas que je parte, et je ne suis pas partie, je suis restée à lui caresser les cheveux, à l'écouter, je n'étais pas jalouse non, ni en colère, peut-être simplement que j'avais fait un pas en arrière, discrètement, comme quelque chose qui se détache en silence. Je ne suis pas partie, mais je n'ai pas très bien dormi non plus.
J'aurais voulu que pour une fois, ça soit différent.
Un jour, le dessinateur m'a dit qu'il avait revu son ex. J'ai demandé quand, il ne savait plus très bien, je n'ai pas insisté. Quelle importance de savoir ce que je faisais au moment où il l'embrassait.
Il ne m'avait rien dit, je n'ai pas eu le droit à la confidence, c'était son histoire, même s'il n'en voulait plus, même s'il faisait tout pour l'oublier, ne plus souffrir.
"Tu es celle qui me comprend le mieux, et je m'en veux parce que pourtant tu n'es pas celle que j'ai le plus aimé".
Qu'est-ce que j'aurais pu répondre à cela ?
Je crois bien que ça m'allait ainsi.
Mardi déjà, elle mettait du temps à répondre.
Je n'aurais pas su expliquer clairement pourquoi, mais je ressentais.
J'ai fait l'erreur de lui proposer de venir à Lille avec moi un weekend.
Son ex aussi était de Lille, voulait l'emmener également.
Elle m'a dit qu'elle pensait toujours à elle, parce que c'était récent.
Mais elle veut tourner la page et elle m'apprécie, elle me demande si j'ai regardé pour le cinéma.
Je me suis sentie écoeurée, j'essayais de me concentrer sur le cours, ne plus y penser.
Pourquoi c'est toujours pareil ? Pourquoi je n'aime que les coeurs déjà occupés ?
Ma pote de cours m'a proposé de gouter un bout de sa part de gâteau, et rien que de regarder j'ai eu des nausées.
"Tu as trop mangé ce midi ?"
Non pas exactement.
Juste un texto de Mèl, mais il était consistant.
Allongée contre un mur du couloir de la fac, je regardais cette petite chose en plastique noire qui ne voulait plus vibrer.
Et mes yeux se brouillaient sans arrêt.
Alors j'ai coupé, mon téléphone.
Et j'ai lu.
1 livre par jour.
C'était beaucoup plus simple.
Je lisais, je réfléchissais à mon essai futur, j'apprenais mon vocabulaire de latin, j'ébauchais ce projet de voyage aux États-Unis pour améliorer mon anglais, j'empilais les livres les uns sur les autres à côté de mon oreiller, j'étais bien, seule et sereine.
On était jeudi et j'avais presque terminé le 4ème livre.
Mèl voulait venir me chercher à 17h, mais je n'avais pas dit oui.
"Toi tu as ton ex en tête, moi je suis habituée à mon célibat. Prends ton temps, ne m'écris pas en pensant me faire plaisir, au contraire ça me fait bizarre".
C'est normal qu'elle ne soit pas venu me chercher.
J'avais fermé mes bras.
J'ai songé à aller voir mon prof blond à la sortie de sa fac.
Et pour lui dire quoi ? Je ne savais pas.
Pourquoi cet attachement à cet homme qui n'a jamais été qu'un professeur pour moi ?
Je cherchais, je fouillais, j'essayais de comprendre, de façon logique, raisonnée, "pourquoi", pourquoi les sentiments naissent sur des terrains sans eau, et comment font-ils pour survivre, alors que personne ne comprend comment cela est possible ?
J'ai préféré voir Mèl. On est allé au cinéma, et puis on a mangé une pizza en buvant du vin. On a rit, on s'est confié. On a beaucoup de points communs, familiaux surtout, alors je la comprends. Elle m'a fait monté chez elle et je ne suis partie qu'au matin. Mais en allant à la fac j'ai remarqué que mon euphorie avait disparu. Et j'étais fatiguée. Incapable de mettre des mots sur mes pensées.
Le soir j'ai mis
de la musique dans l'air de ma chambre et j'ai travaillé une mélodie au
piano, pour mon cours de chant.
Tout paraissait clair, simple et joyeux.
Sans mystère.
Parce que même la musique possède une logique, une cohérence.
Comme pour les livres.
Seuls les sentiments n'en n'ont pas, j'ai l'impression.
***
D'ailleurs ça manque cruellement de musique ici
Glass Candy - Candy Castle
Découvert grâce à Ninou, il y a déjà un an