Elle s'est faite tatouée sur la nuque.
Elle était assise, la tête posée contre le dossier, lassive.
Le tatoueur posait ses doigts sur elle, doucement.
Elle avait le regard dans le vide. Il était concentré sur elle.

Et moi j'étais assise face à eux, plongée au coeur de cet atmosphère que je trouvais intime, sensuel.
Même si un peu douloureux. Sa main serrait mes doigts au rythme des petits aiguilles plantées dans sa peau.

J'étais heureuse de partager ce moment avec elle.
Je l'ai accompagné jusqu'à la pharmacie, et puis j'ai remis mes rollers. Je me suis laissée glisser, pensive.

Le tatoueur m'avait dit "pour ton piercing, faudrait que t'aille chez un perceur, un pro. A mon avis il faudrait que tu changes de bijoux".
Pas de grosse inquiètude dans sa voix. Cool. La vie de mon nombril suit son cours.

Le lendemain j'ai vu mon psy.
Toute la matinée j'avais rêvé que je loupais mon rendez-vous en ne me réveillant pas. Finalement j'étais bien là, sur cette chaise devenue amie, dans son petit bureau, face à lui. Je lui dis "je suis contente d'être là !", et j'ai parlé de ma mère, encore. Il m'écoutait. Sans jamais me répondre vraiment. Je suis habituée à ses silences maintenant.

Et puis il s'est passé quelque chose de bizarre.
J'ai pleuré.
C'était la première fois. J'ai senti la catastrophe arrivée, j'ai essayé de garder le contrôle de mon corps, mais l'espace de quelques secondes je l'ai perdu. Ca m'a beaucoup étonné, je pensais que ça n'arriverait jamais. J'étais complètement vulnérable. Face à lui.
J'ai fini par des rires. Il me souriait. J'ai dit "c'est pas grave, c'est nos vies, nos souvenirs". Tout mon corps tremblait.

Il me fait vraiment du bien.
Je suis ressortie un peu plus légère. Un peu plus comprise. J'ai roulé, le sourire aux lèvres. J'ai textoté mon pote homo pour lui en parler, il m'a dit "tu veux qu'on s'voie ?", j'ai dit non, j'allais bien, j'allais très bien en fait.

Je me suis dépêchée de trouver un perceur. A République.
Un homme très doux m'a emmené au premier étage, m'a assis dans un fauteuil et a changé mon bijoux tout en m'expliquant pourquoi c'était mieux. Je lui offrais mon nombril, docile. Il a enlevé mon anneau, pour mettre simplement une petite barre. Il m'a dit "dans 3 semaines maximum, il n'y aura plus aucune rougeur". Je lui ai offert l'un de mes plus beaux sourire et je suis partie.

Chaleur étouffante. La Princesse m'attendait, heureuse de voir que j'étais encore venue en rollers. "On en fera un peu ce soir ? J'ai pas de devoirs !" J'aime sa candeur. J'aime qu'elle se colle à moi, qu'elle cherche des contacts même si je ne sais jamais comment réagir à son affection. Et même si elle me crève à me faire tirer son énorme cartable à roulettes chaque soir pendant 20 minutes en montée, et qu'une gamine de 11 ans fan de Fun Radio c'est parfois insupportable, je suis toujours contente de la revoir.

J'ai rejoins mon père le soir dans sa voiture. Pour aller dîner chez ma grand-mère, comme presque toutes les semaines. Ce soir là on a soulevé le vieux frigo qui était cassé pour le mettre sur le trottoir. Mamie était contente. Elle m'a donné un bout de fromage et des fruits, et puis elle a bien voulu me prêter un matela, pour faire un lit 2 places dans ma chambre. Papa l'a mis dans la Golf. Je suis partie après lui, j'ai conduis dans le noir, j'ai vu Paris du périph avec sa tour Effeil qui scintille, j'ai hurlé fenêtre ouverte, trop de joie en moi d'un coup.

J'suis passée prendre mon pote homo, il déprimait dans sa chambre, on s'est retrouvé chez moi, sur mon balcon assis par terre, avec une bière et du vin, à regarder des photos en écoutant de la musique, à apprécier les éclairs au loin et le bruit de l'orage. Et j'aime ce rapport entre nous, j'aime sa douceur, son humour et son ouverture d'esprit. "T'es le seul à être venu dans mon nouvel appart, et t'étais le premier à être venu dans l'ancien, et t'étais le seul presque de Paris à être venu chez moi à Lille. Et ce soir tu seras le premier à dormir sur mon nouveau matelaaaaaas !". On rit. Au dessus du boulevard, au milieu de la nuit, un peu bourrés.

Intimités fragiles.

Et demain c'est la Gaypride ! J'espère qu'il fera chaud.