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Les mots sans le son


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Non, je parle de l'écriture personnelle, de ce mouvement qui va de l'intérieur vers l'extérieur pour exprimer ce qui s'est imprimé en soi - écrire pour dire son expérience, ses rêves, écrire pour dire son désir, l'attraper dans le filet des mots comme un poisson gigotant.
Celle que vous croyez, de Camille Laurens
La fille au tee-shirt rayé
Un peu après 20h j'ai retrouvé Tigroo dans le centre de Paris.
J'étais venue en rollers à cause de ma carte de transport qui ne marche plus.

C'était la nuit blanche.
Agitation.
Du monde partout.
Difficile de rouler aux abords de Notre-Dame dans ce bain de foule.

Tigroo m'a trouvé la première alors que je me voyais déjà avec mes roulettes sur les pavés à la chercher parmi tous ces gens.
On se dit qu'il fait trop bon pour aller dans un bar, que ça sera sûrement la dernière fois qu'on pourra rester dehors sans camouflage d'esquimau.
On achète une bière forte, dégueulasse mais pas cher.

Je parle beaucoup, je parle vite, y'a toute cette joie que j'ai envie de lui communiquer, mes cours qui sont trop bien, mon prof qui j'ai recroisé, les livres que j'ai lu, et elle aussi elle est joyeuse, elle me parle de son école d'art, de ses profs qui sont trop bien, et des filles qu'elle rencontre par-ci par-là.

Ninou nous rejoint, je suis super contente, longtemps qu'on ne s'était pas vu, j'en avais presque oublié le son de sa voix, alors vite il y a les vacances à se raconter, les hommes les rencontres, et nos envies de lire qui se rejoignent, nos envies d'avenir, elle dit "tu es travailleuse toi non ?" et je crois que cette phrase m'a fait plus plaisir que n'importe quelle autre question.

Tigroo se met à jouer sur une guitare qu'elle emprunte à un musicien, je retourne nous chercher deux bières et Ninou me dit qu'elle ne va pas tarder à s'en aller.

Le temps s'écoule sans que j'en ai vraiment conscience, je vais faire pipi dans la rue de la pisse, une fille trop drôle qui insulte les passants fait pipi à côté de moi, on discute comme si on se connaissait depuis toujours, le pantalon sur les chevilles et les fesses à l'air, je suis prise d'un fou rire, elle me quitte quand elle s'est rhabillée, elle trouve que j'suis un peu trop bourrée, je crois bien qu'elle a raison, j'ai la tête qui tourne.

Tigroo me demande ce qu'on fait, j'avoue que j'en sais rien, elle voudrait bien aller dans le bar lesbien "juste pour aller aux toilettes", j'lui conseille la rue de la pisse qui est ma foi une solution beaucoup plus rapide pour se soulager, mais elle est pudique, et on se retrouve pour la énième fois à montrer nos sacs à la videuse qui nous dit "c'est bon les filles vous pouvez y aller".

Je suis trop saoule pour me soucier du manque d'espace de ce bar.
Arrivée près des toilettes, j'ai envie de danser.
Je me suis faite avoir par la musique.
Je danse.
Pose mon sac dans un coin.
Monte sur un des bancs.
Mes habitudes retrouvées.

Ensuite ça s'est passé très vite.

Une fille encore sur le sol a l'air de vouloir monter aussi sur le banc.
Je lui demande si elle veut venir, je lui tends la main.
Elle dit "oui j'ai envie de danser avec toi".
Elle reste 3 secondes en altitude avec moi et puis elle dit "tu veux pas qu'on redescende ?"
Je n'fais pas la difficile, même si j'aimais bien mon banc.
Elle se met à danser devant moi, près de moi.
On se rapproche.
Nos corps s'enlacent.
Elle m'embrasse.

Je me demande ce qui est en train de m'arriver.

Je n'ai même pas fait attention à son visage.
Elle est petite.
Des cheveux fins.
Des petites mains.
Une odeur de parfum.

Je me souviens parfaitement de son tee-shirt rayé, de ses épaules et de sa nuque, puisque je n'en suis plus sortie pendant presque 2h, me dira Tigroo.

On dansait, on s'embrassait, on ne se voyait pas.
On transpirait, on s'accordait, on s'immobilisait.
Elle pouvait rester longtemps à se faire embrasser, le visage levé vers moi, les yeux fermés.
C'est là que j'ai pu la regarder un peu.
Je l'ai trouvé jolie.

Mais je ne savais toujours pas bien ce qu'il était en train de m'arriver.

Et Tigroo, elle est où ?

Je n'osais pas me décrocher de la petite au tee-shirt rayé, malgré la chaleur, malgré l'effort que ça me coutait de rester concentrée sur nos baisers, de ne pas vaciller, d'inventer de nouvelles caresses sur ses joues, sur ses hanches, dans sa nuque, de soulever ses cheveux sans lui faire mal.

Un homme voulait nous prendre en photo.
Je l'ai viré.
Un autre voulait rester planté devant nous pour nous regarder.
Je l'ai poussé.
Pourquoi souvent les hommes sont comme des mouches qu'on arrive pas à chasser ?

A un moment elle a posé sa tête contre ma poitrine et elle n'a plus bougé.
Je la tenais dans mes bras.
J'avais l'impression qu'elle cherchait en moi de l'affection, un endroit où se reposer.
J'aurais très bien pu m'endormir comme ça, c'était doux, très doux.

Et pourtant je ne savais toujours rien d'elle, même pas son prénom.
Et je n'osais pas briser notre silence, interrompre notre dialogue corporel pour des stupides banalités.

Tigroo m'a tapoté sur l'épaule, je me suis retournée.
Elle dansait avec un garçon.
C'était le monde à l'envers.
Elle me dit "on y va quand tu veux", elle dit qu'elle s'amuse bien.

J'ai senti que j'avais réellement très envie de dormir, alors j'ai dit "il faut que j'y aille".
Elle n'a pas répondu.
Je ne savais pas trop si c'était à cause de la musique qui était trop forte, ou juste parce qu'elle n'avait pas de réponse à m'apporter.
Je suis restée encore un peu, elle m'embrassait toujours, revenait sans cesse sur mes lèvres.

J'ai répété ma phrase un peu plus tard, elle a dit "on va dehors", alors je me suis dirigée vers la sortie, pris mon sac d'une main, restant liée à ma copine de l'autre, cherchant à avertir Tigroo que le départ était proche.
L'autre a passé ses bras autour de ma taille.
Ca m'a fait drôle.
Je n'ai plus l'habitude de ce genre de geste.

On s'est arrêté un peu avant la sortie parce qu'il y a avait trop de monde, et on s'est embrassé à nouveau.
Tigroo est repartie dans la foule.
Mince.

Alors j'ai dit "comment tu t'appelles ?"
Elle a répondu "Mél (petit temps) et toi ?"
Sa voix était plus grave que moi, c'était comme si je l'entendais pour la première fois, il y a avait moins de musique ici.
"Aphone".
Elle m'a demandé mon âge.
Ca m'a fait sourire, d'habitude c'est toujours la première question que je pose, mais sous les conseils de Mimie, j'ai décidé d'arrêter de la poser.
"22, et toi ?"
Timidement elle a répondu "19".
Je la croyais plus âgée que moi.
J'ai demandé son numéro, elle l'a rentré elle-même sur mon portable.
Quand elle est partie, elle me tenait la main, elle a fait glisser lentement ses doigts jusqu'au bout des miens, sans me lâcher tout de suite.
Et puis elle a rejoint la foule, comme par obligation.

On sort.
J'entends un homo bourré qui m'interpelle : "Eh toi la blondaaaasse ! T'ES BONNE !"
Je ne retiens que le mot "blondasse" et j'affiche un sourire niais.

"Bah alors, t'es toute décoiffée !"
Tigroo se moque un peu de moi.
Je me regarde, j'ai une crinière de lionne sauvage (mais blonde !).
J'ai du mal à garder les yeux ouverts, ils sont restés clos trop longtemps dans la nuque de la petite.
Je ne me vois pas bien.

Je sens surtout son odeur qui est restée accrochée à mon corps.
Et mes lèvres qui sont un peu fatiguées.

Tigroo me dit qu'elle m'a pas vu de la soirée.
Il est 3h.
J'hallucine un peu, je croyais qu'on était restées 30 minutes dans le bar.
On rit, on se raconte ce qu'on a fait, elle a embrassé un mec, "trop drôle !", et moi qui embrasse une fille, "dingue !", je lui demande si elle la trouve jolie, elle me dit qu'elle n'a pas bien vu, qu'elle était petite par rapport à moi mais oui jolie. Je lui dis que je ne sais pas trop ce que je vais faire de son numéro de téléphone.

On rentre à pied parce qu'il n'y a pas de bus à cause de la nuit blanche, Paris me semble tout petit, on passe devant Notre-Dame qui est plus belle que jamais parce qu'ils l'ont éclairé de l'intérieur, on parle d'obsession amoureuse, de tous les trucs les plus dingues qu'elle a fait par amour, elle me rassure, on parle du prof, elle dit qu'il faut que j'y aille jeudi, que je sois au clair, que je ne reste pas enfermée dans un espoir sans réponse, parce que ça fait mal. Je suis complètement d'accord avec elle.

Je fais le reste du chemin en roller, ça me parait complètement épuisant.
A 4h je suis dans mon lit.
L'odeur de la fille toujours accrochée à ma peau.

Je ne sais pas quoi faire de son numéro.
Lui écrire ? La revoir ? Lui dire bonne nuit ? Attendre demain ? Savoir si elle va bien ? Mentir ? puisque je ne tombe jamais amoureuse des filles, pourquoi prendre le risque de la faire tourner en rond ? elle voudrait peut-être qu'on sorte ensemble. Ou peut-être qu'elle s'en fout, qu'elle m'a donné un faux numéro. On ne s'est tellement rien dit, tout ce silence qui nous a enveloppé pendant 2h, le silence et l'obscurité, et seul nos corps ont pris la parole. Ils s'entendaient bien. Si je ne lui écris pas, peut-être que son corps sera vexé.

"Oh, je verrai bien demain".
Et je m'endors avec son odeur.
Ecrit par Aphone
le Dimanche 03 Octobre 2010
à 19:33



Commentaires :

  Celsius42
03-10-10
à 20:45

I was here

J'étais devant Notre-Dame hier soir, vers trois heures, et je me disait que c'était bien sombre et bien triste; pour une nuit blanche. C'est drôle comme les avis diffèrent.

  aphone
04-10-10
à 00:05

Re: I was here


Oui c'est drôle ! Moi c'est tout le contraire ! Cet absence d'éclairage, avec juste ce vitrail (quel mot pas beau) magnifique au centre, j'avais l'impression d'être en plein dans le roman d'Hugo. Au 15ème, Paris n'était pas du tout éclairée, et la nuit, il faisait entièrement noir. C'était féérique pour moi !



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