Je pourrais prendre Word pour écrire. C'est Lio qui me l’a installé. J'pourrais lire le bouquin de Céline que je lui ai piqué dans sa bibliothèque. J'pourrais juste écouter mon Nano en regardant le paysage. J'pourrais pleurer et tomber de fatigue. Regarder le visage des gens du wagon un par un, intensément. J'pourrais.

J'ai sorti Félix du sac que Lio m'a prêté. Ca fait un peu bizarre au début, ça fait muy serioso de sortir son pc portable dans le train. Dans le métro j't'en parle même pas. Que veux-tu.

J'étais dans la voiture, à l'arrière, allongée sur le dos, une cigarette dans la main. Cette clope si précieuse qu'il me fallait absolument pour accéder au bonheur absolu. J'étais saoule, j'avais dansé en hurlant les yeux fermés, et tout le monde passait à côté de moi en me confirmant que j'étais complètement bourrée, des fois que j'ai eu un doute. Maintenant je suis dans la voiture, il fait nuit, regarde comme c'est beau la Belgique, regarde, on peut voir l'horizon se dessiner nettement, sans qu'une panoplie d'immeubles s'amuse à rétrécir le ciel, regarde. C'est beau hein. Je fume ma clope tout doucement pendant que Lio parle à son neveu. Le vent se frotte contre ma peau. Une main par la fenêtre. "Mets bien ta ceinture s'il te plait". Et là, cette pensée qui revient, cette pensée agréable, même si glauque peut-être. "Pourquoi ? Tu sais, si je mourrais ce soir, eh bien, je serais morte heureuse. Complètement heureuse."

On a parlé toute la nuit. Tu sais, souvent j'disais "moi je voudrais un mec qui soit un peu comme un ami, un mec avec qui je pourrais parler des heures, un mec qui soit comme moi". On m'avait dit "Ton mec, ça sera jamais ton pote. Rêve pas." Ca m'avait fait un peu mal à la tête au début, renoncer une fois de plus à quelque chose. Faire semblant de renoncer.
On a parlé toute la nuit, et tous mes vieux délires, il les suit. Trop de ressemblances entre nous. J'ai le coeur qui n'en croit pas ses yeux. Même si.

Reno m'a engueulé au téléphone. Lui qui d'habitude. J'sentais la tristesse déguisée en rage qui m'oppressait. Tu sais, ça fait bizarre d'un côté. Je m'en vais. J'peux pas vivre sans mes amis. Et c'est quand je suis loin d'eux que je me rends compte combien j'aime secrètement leur faire des câlins. Combien c'est pas rien tout ça pour moi. Envie de courir les retrouver au plus vite. Et Lio qui m'écoute déballer ma tristesse. Allez viens ma belle, y reste du Nutella à la maison.

Ma vie se dirige lentement vers le n'importe quoi. Ce truc qu'on appelle débauche. Ce truc qui fait que les corps contre les peaux n'ont plus autant d'importance. Tu sais, on est que des amas de chair. L'important c'est pas ça. J'ai vu son ex lundi soir. Elle m'est apparue comme un objet triste. Une chose qui passe entre les mains sans qu'on y fasse vraiment gaffe. Je l'ai prise entre mes mains moi aussi. Sans y faire vraiment gaffe. On lui a donné rendez-vous le lendemain soir. Discussions superficielles dans la voiture, situation étrange. Nos airs complices à tous les deux. Dans l'obscurité, elle était comme une poupée à mes yeux, une poupée que l'on déshabille pour jouer avec. Etrange situation. Cette envie de lui faire plaisir à Lui, cette envie de toucher un corps féminin encore une fois, cette envie de tout faire ensemble.
Au moment de m'endormir un peu, j'ai vu quelque chose. Ca m'a fait sursauté. J'ai vu son visage à elle avec ses yeux à lui. Comme si en la regardant elle, je le voyais Lui. Comme si c'était un morceau de lui, puisqu'elle a fait partie de sa vie. J'ai paniqué.

"J'ai besoin de te parler". Il s'est relevé pendant qu'elle s'était endormie et m'a entraîné sur le toit. Tout nu sous les étoiles. J'ai ris. Une couverture sur les épaules. J'avais le coeur qui battait fort parce qu'elle avait posée sa tête sur son épaule avant de s'endormir. Une poupée ça n'a pas besoin d'affection. Il m'a rassuré. Il a balayé les silences un par un, il a mis des mots dessus. Ca raille les doutes et les peurs. Ma main dans la sienne, loin d'elle, je sentais qu'il n'y avait que nous qui comptait. Comme si rien ne pouvait nous atteindre. Le coeur loin du corps. Besoin de repousser les limites au maximum. On va durer nous deux hein, pas vrai. On va tout partager ensemble. On va partir.

On a discuté une longue partie de la nuit. Combien d'heures j'ai dormi ces 2 derniers jours. J'ai oublié. Par contre je me souviens très bien de ce qu'il m'a murmuré à l'oreille hier matin, quand j'étais sur le point de m'endormir. Tout doucement, il l'a bien articulé, comme quelque chose de très important. Il m'avait dit "ne me demande pas de te le dire tout de suite, va doucement ma belle, ça ne fait que 2 semaines." Il m'avait dit aussi "tu fais tout pour que je tombe amoureux de toi - ah bon, comme quoi ? - je sais pas, j'le sens, je le vois dans tes yeux, dans tes gestes, dans tout." Et hier matin il me l'a murmuré à l'oreille. J'ai oublié de m'endormir. Ca m'a fait comme une décharge d'un coup. Après un long silence. On a dû s'embrasser pendant une éternité. Et puis il a continué sur sa lancé, avec ses yeux bleu dans les miens, il m'a dit tous les mots doux qu'on rêve d'entendre quand on est une fille et qu'on aime bien lire des romans d'amour. Tout doucement.

Il m'a dit je t'aime le premier jour d'un mois d'août.

Avec lui, je parle. Les mots ne restent jamais longtemps coincés dans ma gorge, comme une boule douloureuse, comme si je savais déjà qu'ils ne seraient pas compris. Et lui, il a peur des silences. Alors on pourrait y passer des heures, des nuits, des jours, des secondes volées au temps. De la politique à la philo, de la musique à la science, de la psycho au cinéma. J'sais plus.

Déjà, le train est arrivé. Je ne sais pas comment je vais tenir sans lui, j'ose pas tellement y penser encore. J'veux ses mots, sa musique, ses yeux. Pour l'instant j'ai encore son odeur dans les mains, sur le corps. Alors. Alors Paris n'est plus aussi triste que la première fois.