Tellement étrange
C'est tellement étrange ce qui m'arrive.
Mercredi soir j'ai rejoint la petite dans un bar.
Stressée stressée stressée.
J'avais l'impression d'aller à la rencontre d'une inconnue.
Une inconnue que j'avais pourtant embrassé pendant 2h.
Soit.
Devant le bar, je ne la vois pas.
J'ai peur de ne pas la reconnaitre et qu'elle se vexe.
Moi et ma mémoire photographique pourrie.
Texto de moi : "je suis là et toi ?"
Réponse d'elle : "je suis au premier étage"
Je commence à avancer vers le bar dans l'idée de trouver l'étage quand je vois une petite qui se faufile au milieu des gens et qui vient vers moi.
Je la reconnais.
Je sais que c'est elle.
Sans dire un mot, on se rapproche.
On se fait deux bisous timides sur les joues, au coin des lèvres.
Elle me fait signe de me suivre à travers les gens qui remplissent le bar.
Je la suis.
Dos à moi elle me propose sa main.
Je la prends.
Ca me rassure un peu.
On arrive là où elle connait du monde.
Je dis bonjour sans connaitre personne.
Je ne suis pas très à l'aise.
Elle me fait signe de m'assoir.
On s'assoit.
Elle pose sa main sur ma cuisse.
Ca me surprend et je ne trouve pas la force d'avancer ma main jusqu'à la sienne.
Elle retire sa main.
Je m'en veux.
J'essaye d'écouter tout ce qui se dit autour.
Ca parle d'affiches, de réunions, de soirées avenirs ...
Elle fait partie d'une association pour les gays, lesbiennes et trans.
J'ai du mal à me concentrer sur ce que disent les autres.
Etrange.
Envie d'être proche d'elle physiquement.
Je me fous du cadre mais je mime l'inverse.
Je vais me chercher une bière, je lui en propose une.
Elle n'a pas de monnaie.
Je lui offre.
J'ai du mal à enclencher une discussion entre nous.
Elle parle vite, elle semble tendue, ou peut-être qu'elle est comme ça tout le temps.
Du temps s'écoule.
A un moment, il y a moins de monde, elle se tourne vers moi soudain, pose ses mains près de mes oreilles et m'embrasse.
On reste soudé comme ça pendant un certain temps.
Le cadre a enfin disparu.
Quand on s'arrête, on est gêné.
Une amie à elle nous regarde avec un grand sourire.
Cadre retrouvé.
Pfff.
Puis elle me dit "on change de bar tu viens ?"
Oui je viens bien sûr.
On se retrouve dans la rue, avec l'amie qui souriait.
La petite parle vite, elles discutent entre elles.
J'ai l'impression d'être de trop.
Pourtant elle me tient la main.
Elle parle de son ex qui était dans le bar, je pense "ah déjà des rivalités ?", entre deux phrases elle me demande si je fume.
Je dis "quand j'y pense, mais j'y pense pas souvent".
Elle dit "ah cool tant mieux".
J'ai l'impression d'être évaluée comme pendant une période d'essai.
Je n'aime pas ça et je reste souriante.
On trouve le bar en question.
Je ne comprends pas bien qui est qui, si les filles avec qui elle parle sont ses amies, ou juste des filles de l'association, je réalise aussi qu'on ne se connait pas nous deux, on parle peu, je trouve ça étrange.
Et pourtant on se tient la main.
Décalage.
Les filles font des remarques sur nous "oh vous êtes mignonnes".
Je n'aime pas ça.
Qu'est-ce qu'elle leur a dit sur nous ?
On s'assoit sur une banquette.
Une fille dit à une autre "te mets pas entre Mél et sa chérie !"
Sa chérie ? Moi ?
Je prends peur.
Le groupe de filles n'est pas très accueillant.
En temps normal je me serais incrustée à coup de questions, j'aurais discuté avec chacune d'entre elles pour faire connaissance avec ces gens qui partagent la même table que moi.
Mais là je n'osais pas trop.
Alors comme je ne parlais pas je me sentais loin.
Et la petite Mél qui m'enlaçait la taille.
Pourquoi au fait ?
J'apprends qui est son ex.
Pas dur, c'est celle qui me dévisage depuis le début.
Je me sens mal.
Je ne veux blesser personne.
Je n'ose plus embrasser Mél.
Et j'enchaine les demis de bière pour ne pas trop me poser de questions.
Ca me chatouille le cerveau et j'arrive mieux à rire.
Ici tout le monde me considère comme étant lesbienne.
Je ne dis rien, je trouve ça cool.
Mél m'invite à une soirée qui a lieu vendredi soir sans même me demander si ça me tente.
Je ne comprends pas.
Pourquoi on parle si peu ? Pourquoi elle parle plus aux autres qu'à moi ? Pourquoi son ex est là ? Ca faisait combien de temps ? Pourquoi ça c'est fini ? Qu'est-ce que Mél attend de moi ?
Je commande un autre demi.
En allant aux toilettes, j'envoie un texto à Ryne.
"C'est mort, elle est trop jeune".
Elle me demande pourquoi.
Je ne sais pas.
Je sens que ça ne va pas, je ne suis pas à l'aise.
La soirée se termine et on marche toutes les deux jusqu'au métro.
On ne se tient plus la main, on parle.
Elle parle vite, du groupe de filles qu'elle trouve bizarres, de son ex, de son passé amoureux, un peu de sa famille.
Elle dit "tes parents savent que tu préfères les filles ?"
Cette phrase contient une affirmation fausse et un sujet douloureux.
Je réponds "c'est compliqué, je ne vois plus mes parents".
Elle s'excuse.
Y'a pas de mal.
On arrive au métro et je lui dis que je rentre en roller.
Elle propose de me filer un ticket pour qu'on rentre ensemble.
Je dis que non, je vais la laisser ici.
Elle insiste un peu, mais ponctue d'un "enfin c'est vrai que tu as cours demain".
j'acquiesce.
J'ai peur de passer la nuit avec elle.
On s'embrasse devant les escalators.
Un mec débarque sans que je l'ai vu venir et approche ses lèvres des nôtres.
Je sursaute d'un coup.
Et puis je m'énerve sur lui.
"Non mais t'es relou ! qu'est-ce qui te prend de faire ça ! Tu crois vraiment que ça va nous plaire ? Tu te rends compte que tu nous as fait peur alors qu'on était tranquille ?!!"
Hum.
Il s'énerve pas, il dit juste "faut pas faire ça devant moi voyons !"
On se casse.
Il m'a fait peur l'air de rien, il avait pas l'air net.
Du coup je descends les escalators avec elle.
On s'embrasse à nouveau.
Elle ferme les yeux.
J'ouvre les miens pour retrouver celle que j'embrassais samedi soir.
C'est bien elle.
Même image.
Je souris au fond de moi.
Il n'y a plus que son visage tout près du mien, nos lèvres, nos mains.
Etrange.
Je suis tellement bien quand on s'embrasse.
Je rentre sur mes rollers.
Un peu triste.
Déçue.
Je ne sais pas trop ce que je ressens.
Je me dis que je ne la reverrai plus.
Jeudi midi, elle m'envoie un texto.
Me propose d'aller au ciné.
Je mets du temps à répondre.
Finalement je rédige quelque chose d'assez froid.
"Je ne pense pas qu'on pourra s'accorder nous deux, je me sens trop différente de toi et de tes amies, et puis je suis célibataire depuis 2 ans je ne sais pas si je pourrai répondre à tes attentes ..."
Je me sens mal en écrivant ça.
Je l'envoie.
J'essaye de ne pas attendre sa réponse.
J'arrive dans le bureau de mon psy.
Il me regarde attentivement, comme surpris de quelque chose.
Je me sens bizarre.
Perdue.
Ne sais pas trop quoi dire.
Vers la fin de la séance je me retiens de pleurer.
Fébrile.
Nue de l'intérieur.
Comme si on m'avait touché quelque part où c'est trop sensible.
Je passe aux toilettes, mes yeux sont rouges et brillants, je pleure un peu, mes mains tremblent, je me sens égarée.
Dehors il fait beau, je marche vers chez moi, j'essaye de me calmer.
La petite répond à mon message.
Elle pense que je juge un peu vite, elle me précise que les filles de l'autre soir n'étaient pas ses amies, et qu'on aurait pas du se revoir sans ce contexte là. Elle espère que je vais revenir et qu'on se reverra.
Je me remets à pleurer.
Je n'ai de force pour rien, surtout pas pour faire du roller.
Mais je n'ai plus de sous, je ne veux pas payer un ticket de métro.
Je fais l'effort et j'arrive dans mon lit.
Je pleurniche sous ma couette.
Une amie me demande si je vais aller voir le prof à la sortie de son cours.
Je n'ai plus le courage de sortir de mon lit.
Et à vrai dire, je n'y avais même pas vraiment pensé.
Je me dis qu'il faut que je dorme, que j'ai accumulé un manque de sommeil, que ça ira mieux demain.
Vendredi, je me sens toujours aussi fatiguée.
Alors j'appelle ma petite Mamie.
Elle veut bien que je dorme chez elle ce soir.
Cool.
Au passage, je demande à mon frère si on peut faire le trajet ensemble.
Il est d'accord.
Je suis contente.
On discute dans le métro.
On lit l'un à côté de l'autre dans le RER.
Y'a toute cette tendresse invisible entre nous, dans nos silences, cette simplicité d'être avec lui sans parler et d'être bien quand même.
Combien de fois on est resté l'un à côté de l'autre sans vraiment parler quand nous étions enfants ?
Arrivée chez ma grand-mère, assise dans mon canapé habituel - celui où était souvent mon grand-père - je me décide à envoyer un texto à Mél.
J'ai envie de la revoir.
Ma réaction était stupide et elle a raison.
Je regrette.
Je lui demande si elle est toujours d'accord pour le ciné.
Elle met du temps à répondre.
Je me sens mal pendant toute cette attente.
Elle répond.
J'explose.
Légère euphorie.
Elle est d'accord.
"J'ai eu peur que tu ne veuilles plus"
"Tu as peur de beaucoup de choses dis donc"
Je me sens vieille et craintive.
Pourquoi j'ai peur de tout comme ça ?
Samedi, je reste une partie de la journée avec mamie.
Au volant de sa R5, on passe acheter des fleurs avant d'arriver au cimetière.
Je me sens mieux à présent dans ce lieu.
Fini l'angoisse.
Avec une éponge et du savon je lave la pierre de mon grand-père.
Il fait chaud.
J'aime cette pierre, parce que la pierre est symbole d'immortalité, j'aime la voir briller sous le soleil, plus que toutes les autres.
Mamie aussi est contente.
RER. Retour à Paris.
On est samedi soir et je me rends compte que beaucoup de mes amis sont indisponibles.
Mon meilleur ami est en Australie.
Ma pote musicienne est partie faire de la musique à Londres.
Mimie travaille dans son bar à cocktail.
Tigroo est avec une fille qu'elle a rencontrée la veille.
... je crois bien que c'est la loose ...
21h, je reçois un texto de Mél.
"Tu as regardé quel film tu veux aller voir demain ?"
Oui, j'étais en train de regarder des bandes annonces d'ailleurs.
J'ai envie de la voir.
Mais je n'ose pas lui demander.
Je dis "tu fais quoi ?"
Elle répond qu'elle attend le bus pour aller au ciné, mais qu'il n'arrive pas.
Elle dit "On s'voit ?"
Je saute de joie.
"Oui, d'accord, je peux te rejoindre dans 30 minutes si tu veux !"
30 minutes plus tard, je la reconnais qui marche sur le trottoir en direction de notre lieu de RDV.
J'arrive doucement derrière elle, en rollers, sans vraiment réfléchir à mon approche, j'ai envie de la toucher, je lui effleure le dos avec ma main.
Elle sursaute, je lui ai fait peur, elle me fait promettre de ne plus jamais recommencer.
Je promets, je ris.
On s'embrasse.
Elle m'emmène dans un bar près de sa fac, on commande un pinte, l'une en face de l'autre.
A l'écart des autres gens.
On ne se touche pas, on se regarde beaucoup, on discute.
Je la trouve belle.
C'est tellement étrange ce qui m'arrive.
Cette fois-ci on se dit beaucoup de choses, sur nous, nos parents, notre enfance, nos ex, notre sexualité, mais aussi sur le cinéma, la fac, les voyages, le travail, l'avenir.
Je ne m'ennuie pas une seconde.
Je me sens tellement en accord avec elle.
Et puis je sens que j'ai vraiment très envie de l'embrasser.
Et j'ose.
Placer mes mains de chaque côté de sa tête et toucher ses lèvres.
Je suis heureuse d'avoir osé, je suis heureuse qu'elle aime être embrassée.
Jusqu'à ce qu'un mec débarque et nous parle (on va finir par s'y habituer !)
"Les filles, excusez-moi de vous déranger, j'voulais juste vous dire que vous êtes magnifiques !"
On sursaute, et Mél n'a pas le temps de réagir que je suis déjà en train d'engueuler le mec.
"Non mais tu te rends compte que tu nous a fait peur là ?? Alors sous prétexte qu'on est deux filles tu te permets de venir comme ça nous interrompre, mais est que tu ferais la même chose si on avait été un couple d'hétéro ?!"
Il s'en va.
On se marre.
J'ai encore terriblement envie de l'embrasser mais je me retiens.
Je crois que j'ai parlé un peu fort et que j'ai attiré l'attention du bar.
Hum.
Mais à présent on ne se quitte plus physiquement.
Nos mains qui s'entre-mêlent.
Je pourrais raconter tellement de détails encore.
Elle ne voulait pas rentrer tout de suite, pourtant elle se retenait de bailler, fatiguée.
On a parlé du soir où on s'est rencontré, elle m'avoue qu'en fait c'est moi qui l'ai abordé, je lui ai touché les cheveux alors qu'elle dansait en bas, et que je lui ai dit "tu viens ? je suis sûre que tu meurs d'envie de danser avec moi !", et elle a répondu ironiquement "oui je meurs d'envie de danser avec toi", et on a dansé ensemble. Je suis morte de rire, ça m'étonne pas mais je ne m'en souviens pas du tout ! Je suis heureuse quand elle me dit qu'une autre fille avait essayé de la draguer ce soir-là mais qu'elle n'avait pas voulu.
Je pourrais raconter tellement de détails encore mais ça n'en finirait plus.
Je l'ai raccompagné jusqu'à chez elle, devant sa porte.
On s'est enlacé un moment.
J'étais tellement bien là.
Mais je suis partie parce qu'il fallait qu'elle se repose.
Elle bosse le dimanche matin.
Je n'avais pas du tout sommeil.
On s'est revu le dimanche.
Je l'ai attendu devant son travail.
On est allé chez elle.
On devait aller au cinéma.
Mais chez elle c'est intemporel, il n'y a l'heure nul part.
Juste une fenêtre qui donnait sur le ciel bleu.
On est resté là tout l'après-midi.
Au 7ème étage, à l'abri des mecs relous.
Sa tête sur mon ventre, ma main dans sa nuque ou vers ses hanches.
Je ne sais pas bien ce qui m'arrive.
Moi qui disait "les filles, c'est vraiment pas pour moi".
J'ai du mal à penser à autre chose.
Pourtant il faut que je lise, il faut que je travaille.
J'écris toute cette histoire pour ne plus trop y penser.
Espérons que ça marchera.
J'ai hâte de la revoir.
Je n'sais pas bien où on va mais j'ai envie d'y aller.
Je ne veux plus avoir peur, je ne veux plus être seule avec mes craintes.
Pourvu que je n'aille pas trop vite.
Pourvu qu'elle ne se lasse pas trop vite.