Lasse
Ecrire sans y parvenir, c'est comme faire l'amour sans plaisir, boire sans s'enivrer, voyager sans jamais arriver.
(Sagan de Diane Kurys)
Je l'ai regardé en boucle ce film, pour le personnage, parce que j'aimais tout chez elle, et même son petit accent bourgeois qui déteignait parfois sur ma propre façon de parler, très discrètement, je crois même que personne ne l'a entendu, peut-être que j'ai imaginé, peut-être que c'était moi seulement qui entendais sa voix au fond de ma tête, je ne sais pas trop.
Il y a eu ce devoir facultatif que j'ai rendu pour lui, dans son casier, ce vendredi soir, il voulait que ça soit écrit à la main, alors je l'ai fait, des pages et des pages à faire attention à mon écriture, ma sale écriture de garçon comme elles disaient, parce que j'ai jamais su écrire comme les autres filles, "joliment", mais pour lui j'ai fait des efforts, je crois, pour lui j'ai soigné mes phrases, au moins au début, pour lui uniquement pour lui, et j'avais pensé lui écrire un petit quelque chose en bas de la dernière page, quelque chose d'aimable, mais il n'y avait plus de place, et je me sentais vide, et je n'avais de place que pour la solitude, parce que sans espoir l'amour ne peut survivre, et moi je n'espérais plus rien.
De toute façon on se retrouve toujours seul, à aimer ou à ne pas aimer. Bien sûr on a des chagrins d'amour, mais on a surtout des chagrins de soi-même. Finalement la vie n'est qu'une affaire de solitude. (Sagan)
Je suis sortie et il y avait ce soleil agréable et chaud, comme une caresse langoureuse, il y avait Ninou et sa solitude qui a fait écho à la mienne, il y a eu Mimie le temps d'une bière, juste le temps d'être heureuse de se voir un peu toutes les deux, et puis il y a le retour dans ma chambre, ma fatigue, mon manque d'envie de vivre, de sortir, et le sommeil qui m'a happé d'un coup, me plongeant dans un monde sans rêve où même la solitude n'existe plus.
Il y a eu ce long weekend de trois jours, les amis, le soleil, la guitare, les cigarettes, l'alcool qui m'enivre tout au long de la nuit, la joie de se croire déjà en vacances, mettre une jupe sans collant, avoir envie de sable, de nature, d'évasion, parler anglais pour l'illusion, ne plus faire attention à l'heure, et ma pote musicienne qui me dit "désolée je parle pas beaucoup mais j'suis bien avec toi", moi aussi je suis bien avec elle, même sans parler, et on avance dans les petites rues du centre de Paris, elle me fait fumer, et je ne ressens plus la solitude, j'ai mes amis, leur amour, leur compréhension, j'ai des amis alors pourquoi je serais triste, hein, pourquoi ?
Mais la nuit il fait plus frai, la nuit la musique se meurt et le silence fait écho à mon coeur qui ne bat plus pour rien, je voudrais un amoureux, je râle contre l'amour, je râle contre mon lit qui est froid et qui ne sent rien, comme chaque nuit, et ma peluche que je serre fort contre mon coeur, machinalement, pour combler le vide, mais est-ce que j'ai vraiment envie de le combler, ce vide, puisque j'ai peur d'aimer à nouveau, puisque je suis incapable d'essayer, parce que c'est tellement plus simple de rester seule.
Je voudrais des odeurs enivrantes et une peau à caresser.
Non, je veux rester seule.
Et si j'arrêtais les contradictions, cinq minutes, si j'arrêtais de créer des monstres sous les lits conjugaux, si j'essayais de faire confiance à l'amour, pour voir, est-ce que ça serait si dangereux ?
Je me regarde vivre, je m'observe avancer en zigzaguant, je me dissèque, je diagnostique, je me fais des ordonnances, il n'y a plus aucune féerie, tout a une explication, tout est une histoire de cause à effet, je connais tous les trucages, j'ai banni tout ce qui n'était pas rationnel, je suis trop sur terre, je suis trop sur terre, je voudrais pouvoir remplir mes yeux de magie à nouveau, de rêves et de projets insensés, je voudrais des envies d'impossible, mais je suis trop rationnelle, je le sens, je le sais, et ça m'attriste un peu, je crois.
Je voudrais prendre un courant d'air et m'envoler au dessus des réalités.
Ecrire n'importe quoi, inventer des choses qui n'existent pas.
Alors au soleil devant ma fac je me plonge dans ce livre sur la mythologie, et ça me plait, ça n'est pas réel mais quelle importance, c'est "beau", et ça m'emmène dans des autres dimensions, là où les hommes se transforment en fleurs, où les enfants volent le plus haut possible vers le soleil, j'ai besoin d'y croire mais je sens que j'ai du mal, le réel me tient fort, et j'aurais bien aimé qu'on me laisse rêver un peu, j'aurais bien voulu qu'on ne me vole pas mon enfance, parfois, et puis l'assistante sociale au téléphone, qui me brise en 5 minutes, le livre sur les genoux, je suis sur terre à nouveau, "à terre", je tremble, j'ai envie de pleurer, je ne pleure pas, je marche jusqu'à la salle de cours, il y a mon prof blond, je voulais être froide mais je n'y arrive pas, je n'arrive qu'à être triste, alors je regarde ses yeux, ses yeux bleus tellement clairs, et mon coeur se réchauffe un peu soudain, il me demande de lire, alors je m'applique pour lui, et ce dernier regard à la fin, si pénétrant, ce dernier regard qui a balayé ma tristesse pour quelques heures, et je me suis sentie voler un peu au dessus des réalités.
Et j'ai rejoins Mimie, pour ne pas rejoindre ma chambre froide, il faisait si doux et on était si bien ensemble, et j'ai bu, et j'ai fumé, et j'ai souri, et j'ai voulu mimer la joie, l'insouciance, j'ai voulu faire comme si tout allait bien, comme si je n'avais rien entendu au téléphone, je voudrais bien n'entendre que les sons qui ne brisent pas le coeur, mais je ne peux pas, je ne veux pas me boucher les oreilles, je ne veux pas faire semblant d'ignorer la tristesse du monde, et tant pis si elle déteint un peu sur moi, et si je ne rêve à rien, je crois, je crois que je préfère, ou plutôt je crois bien que je n'ai plus le choix.
Et puis ce matin, il est déjà midi, je me réveille dans mes vapeurs d'alcool, je me suis encore couchée tard, j'ai encore trop bu, tant pis, je vais voir le prof blond, c'est le dernier cours aujourd'hui, je n'ai rien envie d'oser, je n'ai pas envie de prendre de risque, je suis triste, mais il est beau, à nous expliquer comment réussir notre examen, il est doux, et j'avance doucement vers lui à la fin du cours avec ma pote de cours, on voudrait la note de notre exposé, il nous la donnera par mail, je me demande si je répondrais, et puis il me regarde "vous avez des questions ?", il semble attendre quelque chose de moi mais peut-être que je me trompe, je fais non de la tête, doucement, non je n'ai pas de questions, juste de la tristesse, et il reste avec cette autre rousse qui a des questions, elle, je sens un petit feu qui me dévore, stupide jalousie, je voudrais vomir mon coeur, j'ai des larmes en attente sous les paupières, ma pote de cours qui me réconforte, elle qui connait mes maux, elle qui est là alors je ne me sens plus seule, juste fatiguée, et lasse de tout.
Je vais me plonger dans le travail.
Travailler, apprendre, réviser.
2 semaines d'exams à l'horizon.
Travailler pour ne plus penser à rien d'autre.
Travailler m'a toujours fait du bien.
Et puis après, ça sera les vacances, et je n'aime pas ça, la fin des cours, je n'ai rien prévu pour cet été, je n'ai aucune envie, aucun projet, le coeur vide et tout semble être anéanti.
Saleté de tristesse.