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Lecture du moment
Non, je parle de l'écriture personnelle, de ce mouvement qui va de l'intérieur vers l'extérieur pour exprimer ce qui s'est imprimé en soi - écrire pour dire son expérience, ses rêves, écrire pour dire son désir, l'attraper dans le filet des mots comme un poisson gigotant.
Celle que vous croyez, de Camille Laurens
L'écrivain
L'autre jour à la fac, Pierre Bordage est venu dans mon cours de littérature SF.
C'était la première fois que j'allais voir un écrivain dont j'avais lu et aimé quelque chose : un roman de science fiction. Le genre de bouquin que, d'habitude, je ne termine jamais parce que le style me pique les yeux.
- ... J'aime pas comment c'est écrit ! L'histoire est géniale, mais j'avance pas, ça me bloque trop !
On m'a dit "y'a l'problème de la traduction aussi", j'ai dit "certes", mais je n'étais jamais convaincue. Traduction, traduction ... Y'a des romans traduits que j'ai adoré. Non non non.
Je me suis inscrite au cours de littérature SF en m'disant que ça allait peut-être me faire aimer ce genre. Qu'après ça, j'irai sans aucun doute me jeter sur mes livres abandonnés en cours de route, finir d'une traite Le meilleur des mondes et Fahrenheit 451.
Nous avions 2 livres au programme.
J'ai commencé par Dune d'Herbert, le plus court. 340 pages, facile. Je l'avais même acheté pour m'obliger à le finir (d'habitude, je n'achète que les livres que j'ai déjà lu à la bibli et qui m'ont plu).
Mais rien à faire : à la moitié du bouquin, j'en pouvais plus, j'ai renoncé.
Et puis il y a eu Les Guerriers du Silence.
Bon ok, c'est pas parti d'un coup de foudre intense genre "et dès la première ligne j'ai su que ..." non, quand même pas, désolée.
Mais dès les premières pages, j'ai senti que j'allais aimer, peu importe la suite de l'histoire.
Et j'ai reporté ma lecture à plus tard parce que y'avait plus urgent à faire (hum).
Après il a fallu que je fasse un devoir sur ce livre.
Le fait est que je l'ai lu en 2 jours et que je l'ai dévoré.
Et pourtant, 637 pages.
J'étais pas obligé de le lire, j'aurais pu trouver l'histoire sur internet et faire ce commentaire de texte sans l'avoir lu en entier, je l'ai déjà fait, c'est pas dur.
J'aurais pu le lire en diagonal en sautant des pages et beaucoup de mots, j'aurais pu c'est pas dur non plus.
Mais non, je n'ai sauté aucun mot, au contraire, je les ai tous aimé.
Pierre Bordage venait dans notre classe et on allait pouvoir lui poser plein de questions. J'étais impatiente. Mais je suis quand même arrivée en retard (l'habitude).
Quand j'ai ouvert la porte tout doucement pour me faufiler jusqu'à une chaise de libre, il m'a dit "BONJOUR !" et puis "Si vous vouliez être discrète, c'est raté !"
Oups !
D'autres sont arrivés encore plus en retard que moi, et chaque fois il faisait une petite blague.
Ca m'a rassuré.
Il n'était pas du tout comme je me l'imaginais. Dans mon esprit je lui avais collé une barbe blanche, un peu à la Hugo, et une allure de philosophe hyper calme.
Et me voilà face à un homme d'une cinquantaine d'années, rasé de près et très blagueur, avec des yeux pétillants et malicieux.
J'ai sorti une feuille blanche et j'ai commencé à écrire ce qu'il disait. J'aurais voulu que ça ne s'arrête jamais. L'homme me charmait peut-être encore plus que ses mots. J'aimais ses idées, sa perception du monde, son humour, son intelligence. Je notais et je riais beaucoup. J'avais même parfois du mal à retenir mes éclats de rire.
Et puis les 2h ce sont écoulées.
Dans le couloir, tout le monde a fait la queue pour avoir un autographe. J'étais à 1000 kilomètres d'avoir anticipé cet évènement, je n'avais pas mon livre sur moi. Mais j'ai repensé à l'allure qu'avait mon bouquin actuellement, parce qu'un jour il était venu à la piscine avec moi et que les 100 premières pages en étaient encore toutes gondolées, alors j'me suis dit : tant mieux. J'ai sorti une feuille blanche et j'ai fait la queue avec les autres.
Mon coeur s'est mis à battre très fort et très vite au fur et à mesure que je me rapprochais. J'étais impressionnée, intimidée par lui. J'ai laissé passer des gens, j'ai parlé à quelques personnes, je me suis remise dans la queue ... j'avançais, je reculais. Mais j'ai fini par lui tendre ma petite feuille blanche. J'ai dit "excusez-moi j'ai oublié mon livre !" il a sourit, le regard posé sur la feuille, stylo en main, il a dit "Bonjour, c'est pour qui ?" j'ai dit mon prénom, puis j'ai avalé ma salive et j'ai commencé à bredouiller une phrase plus ou moins cohérente : "euh voilà j'voulais vous dire qu'en fait vous êtes le premier enfin non votre livre c'est le premier livre de science fiction que j'ai lu jusqu'au bout et je l'ai beaucoup aimé ! Et c'est la première fois que je vois un écrivain aussi d'ailleurs !" il a sourit deux fois plus. J'ai ajouté que c'était impressionnant de le voir en vrai. Il a dit qu'il était un gars tout à fait ordinaire. J'ai souri et je me suis éloignée dans un merci.
Y'avait Léa dans le couloir qui parlait avec une fille. Léa, c'est pas le genre à aller faire la queue pour un autographe, certainement pas. Moi non plus à vrai dire, mais là j'avais mon premier et unique autographe dans la main et je l'aurais filé à personne, pour rien au monde. Je sais pas trop pourquoi. J"ai regardé son écriture. J'aime bien observer les écritures. Lui aussi, il fait les E majuscules à la grecque. Wahou, je fais les mêmes E que Pierre Bordage ! Hum ! Je me suis bien gardée de le dire à Léa et j'ai enchainé sur un autre sujet de conversation. J'voulais pas passer pour une grosse groupie.
Même si je crois que je le suis un peu, au fond.
Admirative.
Les mots de Pierre Bordage raisonnent encore dans ma tête aujourd'hui. Je pourrais les écrire, mais je crois que j'ai envie de les garder pour moi. Ces mots se sont plantés au fond de ma tête et je sens que ça germe, et ça germe, c'est un train de grandir et ça se transforme en envie d'écrire, de plus en plus certainement, chaque jour.
Et ça, c'est super cool =)