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Non, je parle de l'écriture personnelle, de ce mouvement qui va de l'intérieur vers l'extérieur pour exprimer ce qui s'est imprimé en soi - écrire pour dire son expérience, ses rêves, écrire pour dire son désir, l'attraper dans le filet des mots comme un poisson gigotant.
Celle que vous croyez, de Camille Laurens
Talon aiguille et beurre fondu
Aucun rapport ?
Et pourtant.
Midi passé.
Je rentrais chez moi.
Au bout des bras, des sacs de courses.
Lourd.
J'approche de la porte de l'immeuble.
Pose mes sacs de courses.
Chaud.
Je cherche mes clefs dans mon sac.
Rien à première vue.
Je vide mon sac par terre.
Toujours rien.
Oh non Aphone tu vas pas m'dire qu'elles sont pas sur toi ??
Pfffffff.
Je sonne à l'interphone.
Bzzzzzzzzz.
rien.
Bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz bzzzzzzzzzzzzzzzzz bzzzzzzzzzzzzz bzbzbzbzbzbzbzbz bzzzzzzzz.
Rien rien rien.
Quelqu'un m'explique à quoi ça sert d'avoir des colocs s'ils sont pas là quand on en a besoin ??
Je sors mon téléphone.
Ecran noir.
Pu de batterie.
Mais pourquoiiiiiiiiiiiiiiiii ??? Pourquoi tu me lâches juste MAINTENANT ??? Tu marchais y'a 5 minutes !!!! POURQUOI TU ME FAIS CAAAAAA ???
Bon.
Keep calm, be cool, take a drug, relax.
Je m'assois devant mon immeuble.
En proie à un soleil terrible qui me fait suer comme une méduse (ça sue pas les méduses ? c'est plein d'eau pourtant ...).
Quelqu'un arrive peu de temps après, ouvre la porte de l'immeuble.
Ouaiiiii super, j'ai accès à l'ascenseur, youhouuuu !
Je m'assois devant la porte de l'appart.
Blasée.
J'ai faim.
Voyons voir ce que j'ai dans mes sacs.
Ouai des tomates !
Je les mange amoureusement.
Bon alors, si je récapitule objectivement : Il est 13h, je suis devant chez moi, sans clef, sans portable, sans coloc pour me sauver. J'ai des sacs plein de bouffe (dont le beurre en train de fondre) que je ne peux pas me permettre d'abandonner. Je suis encore en gueule de bois de la veille, soirée où j'étais tellement overdrunk que j'ai dormi chez Th qui n'a pas du insister longtemps pour me convaincre que j'allais jamais pouvoir rentrer à Vitry dans mon état (je fêtais mon futur déménagement). Je me suis levée à 8h pour aller à gare du Nord (loin loin) pour rencontrer mon futur directeur de colo (dur). J'allais ENFIN pouvoir m'étaler dans mon lit et profiter de toute mon après-midi de libre pour ne rien faire. Et je me retrouve face à une porte pas plus épaisse que moi mais qui m'interdit de rentrer chez moi.
RAAAAAAAAAAAAH.
Ok ok.
J'étais trop crevée pour m'énerver sérieusement.
Les premières heures, j'ai campé sur le palier.
Ca m'a permis de constater qu'aucun habitant de l'immeuble ne prenait les escaliers.
Pfffff, bande de pas sportif, moi j'les prends les escaliers ! Ca fait perdre des kcal d'abord.
13h30, je sors un bouquin. J'essaye de lire malgré le bruit des gens et l'interrupteur qui s'éteint toutes les 3 minutes.
15h. Je m'endors la tête dans les genoux.
15h30, l'ascenseur me fait sursauter. Non ça n'est pas un coloc, mais un voisin de palier, qui me dit bonjour avant de refermer la porte de chez lui. Fuck.
15h40. J'en ai marre.
16h. Je laisse ma bouffe devant la porte et je sors.
Soleil.
J'avance sans but.
Je me retrouve devant une grande surface.
Why not.
Magasins de chaussures à 10 euros.
Why not.
Je regarde avec attention tous ces petits escarpins.
Je me mets à penser à mon père.
Je l'imagine, dans 30 ans, sur un lit d'hopital, en train de me dire "c'est dommage que t'aies jamais porter de chaussures à talons, c'est beau une femme avec des talons".
Euhhhh.
Je me retrouve à tendre un billet de 10 euros au vendeur, une boite d'escarpins noirs sous le bras.
Pfffffffff.
Pourquoi on se retrouve toujours à faire des choses affreusement débiles par amour ??
J'étais pourtant persuadée que ça me serait jamais arrivé un truc pareil, j'm'imaginais hyper bien finir ma vie comme elle avait commencé : en basket.
Et me voilà dans la rue, avec ma première paire de chaussures à talons.
Je m'assois sur le bord d'un trottoir, je les enfile.
Allez Aphone, montre-moi c'que tu sais faire !
Roh la honte.
AUCUNE ALLURE !
Mais comment on marche avec ce genre de truc ???
Bon.
Je retourne à mon campement, sur le palier.
17h.
Toujours personne. J'écris mon désespoir dans mon carnet.
18h.
Personne. Je ressors. Avec mes chaussures de pouffe.
J'arrive à la cabine téléphonique, j'appelle ma Mamie en PCV. Autant se rendre utile en lui tenant compagnie.
19h. Toujours personne. Je suis étalée dans l'herbe, devant l'immeuble. Je comate.
Quand soudain j'entends la voix de mon coloc Lillois.
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !!!
Je bondis.
Ca y est, j'suis sauvée.
Il est 19h, je suis restée 6h à attendre, là, dehors.
Je m'étale enfin dans mon lit, après avoir mis mon beurre tout mou dans le frigo.
Ô joie.
Du coup j'étais pas hyper motivée pour sortir le soir même, et j'ai profité de l'INTERIEUR de mon appartement toute la soirée.
Le lendemain, mon père est venu me chercher en voiture.
J'avais mis mes nouvelles chaussures spéciale juste pour lui, et j'lui ai dit "t'as vu ??"
Il m'a dit "ouai !" il a marqué un temps puis il a ajouté "tu marches bizarrement mais ça te va bien".
Je marche bizarrement ? Je marche BIZARREMENT ? C'est tout ce que tu trouves à dire alors que j'ai acheté ces chaussures UNIQUEMENT pour te faire PLAISIR parce que tu me reproches TOUJOURS de porter des chaussures plates ????!!!
Il m'a dit "c'est vrai ?? Tu les as achetées pour moi ??"
Et j'ai pas su lui répondre.
Il était ému.
J'ai souris de tout mon être.
Maintenant, grâce à mon après-midi galère in the street, j'ai une paire de chaussures à talons.
Elles sont là, au fond de d'mon armoire.
En cas d'extrème urgence.