Avouons-le, c'est vrai, j'ai du mal à me repérer géographiquement dans Lille.

Jusqu'à lors je n'avais fait que des allers-retours de chez moi à la fac.
Fastoche.

Et puis j'ai voulu aller à Lille pour acheter mon bouquin de latin (à 30 euros) et une lumière pour ma mobylette (histoire d'être en règle).

Je prends mon temps, je zigzag entre les magasins, j'achète un casque audio (pour lire pendant que Lio regarde un film), je zieute quelques vêtements, jusqu'à ce que "oups il se fait tard, la nuit va tomber", et je me hâte de retourner à ma mob.

Etant peu habituée à me déplacer en moto, et connaissant peu l'endroit, je commence par ne pas retrouver l'endroit où j'avais garé mon engin.

Cool.
Je marche pendant 1 quart d'heure, m'imaginant déjà avoir été dérobée, fatiguée, le bouquin de latin pesant trois tonnes dans mon sac et le casque de moto pendouillant au bout du bras depuis 2h.

Je finis enfin par la retrouver, gentiment garée là où je l'avais laissé.
Je monte dessus, mets mon casque, m'énerve 5 minutes sur le kick, croyant qu'elle ne veut plus démarrer, alors qu'il me suffisait de mettre le contact, et je démarre.

Il fait déjà sombre.
Et je n'ai aucune idée du chemin à emprunter pour retrouver mon bonheur de maison.

Je suis quelques panneaux, me disant que "je vais bien finir par trouver".
Toutes les voitures ont allumé leurs phares, et moi, telle une cruche, avec mon ampoule neuve dans la poche, et non en état de marche sur la mobylette, n'avant pas encore pu l'installer.

Je suis crispée.
Si je croise un flic ou deux, à tous les coups, ils vont se faire un plaisir de me mettre une amende, ça loupera pas, je pue l'infraction à dix milles kilomètres.

J'ai hâte de rentrer.
Je longe le tramway, je suis sur le bon chemin.

Une voiture me klaxonne.
Elle ouvre son carreau.

Une tête d'homme agressive en sort et me gueule "et la lumière, c'est pour qui !"
Moi gentiment, de faire la conversation "bah je viens de l'acheter en fait parce que j'ai eu la moto y'a pas longtemps et que j'ai pas encore pu ..."
L'homme me coupant "Et c'est quoi cette façon de zigzaguer comme ça !"
Moi, comprenant que ceci n'était pas une vraie question, de répondre en accélérant légèrement pour semer le gros bonhomme agressif.

A un croisement, je crois reconnaître le chemin que j'empreinte pour aller à la fac.
Youhou !
Sans plus attendre je mets mon clignotant, et je prends le chemin prétendu connu.

Manque de bol, c'était pas ça.

Je m'enfonce progressivement dans un petit village sombre.
La nuit se fait de plus en plus noire.
Les routes sont de plus en plus petites.
Et j'ai la frousse.

J'essaye de faire demi-tour, mais avec des sens interdits partout, il est vrai que ça n'est pas si facile.
Je vais donc à droite, puis à gauche, puis à droite, prenant le chemin qui m'a l'air le plus accueillant, ne trouvant aucun panneau susceptible de m'informer d'avantage.

J'approche du village de Kournikova.
Je ne suis plus très loin de chez Ryne.
Ah ouai quand-même, je ne suis pas du tout dans la bonne direction.
Je panique, refusant tout appel d'urgence téléphonique, considérant que j'ai encore une chance d'arriver avant la nuit noire.

Mais c'est déjà la nuit noire.

Je ne vois rien, je suis perdue, il y a de moins en moins d'éclairage, plus les minutes passent et plus j'approche doucement de la Belgique.
Angoisse totale, d'autant plus que je viens de me prendre un moucheron dans l'oeil.

Je suis donc à la limite de m'arrêter pour pleurer mon moucheron en appelant Lio, ou d'aller dormir chez Ryne, mais je me ressaisie.

T'es Catwoman OUI OU NON ??
Bon, alors AVANCE !

Et je continue ma route dans l'obscurité jusqu'à tomber ENFIN sur un panneau sauveur.
Et je fonce jusqu'à chez moi, heureuse dès que je reconnais ma route.

J'arrive à la maison, complètement émotionnée, comme après avoir fait Paris Dakar les yeux bandées.
Je me dis que Lio a du s'inquiéter même s'il ne m'a pas appelé.

Mais rien.
Il était tranquillement sur le lit à décompresser de sa journée, n'imaginant pas le cauchemar atroce que je viens de vivre.

Ca me ruine d'avantage.
Un peu comme si j'avais survécu à une attaque nucléaire et que tout le monde s'en foutait.
Il y avait cette boule de peur dans mon ventre qui voulait qu'on la prenne un peu au sérieux, qu'on me réconforte, qu'on me fasse un câlin, un bisou, un truc à manger, enfin merde, un peu de considération !

"Oui enfin bon tu t'es perdue mais c'est pas grave, y t'es rien arrivé".

J'ai juste eu très très peur, oui, c'est tout.
Je n'ai pas eu envie de dramatiser et de passer pour une tapette que je suis réellement, alors je n'ai rien ajouté.
Mais la peur était bien là, blottie au creux du ventre.

J'ai fini par pleurer toutes les larmes de mon corps.
Il m'a pris dans ses bras, il m'a réconforté.

J'aurais juste voulu qu'on s'inquiète pour moi en fait, qu'on se demande où je suis et comment je vais, quand est-ce que je rentre.
Mes parents l'ont rarement fait, m'offrant toute la liberté que je n'ai pas eu à demander, ne me donnant pas d'horaires, ne me surveillant pas.
Alors je n'ai pas eu conscience du danger.
Je n'ai pas eu peur qu'il m'arrive quoi que ce soit.
Et je me dis que s'il m'arrivait quelque chose, peut-être qu'on ne s'en rendrait compte que quelques jours plus tard.
Ou TROP tard.
Et j'avoue, ça me fait peur.
Même si c'est tiré par les cheveux comme résonnement.
(J'irais pas jusqu'à me mettre un GPS dans la foufoune).

Ce matin je me suis levée avec des yeux de lapins albinos.
Très sexy.

Lio a mis mon phare en étant de marche, alors normalement, je ne devrais plus avoir d'aussi grosse frayeur.

Certes, conduire ne me rassure pas beaucoup.
Mais j'adore qu'on me prenne pour une postière dans la rue, du genre "c'est pour la Poste ?" ou qu'on me flatte au sujet de mon casque jaune qui va bien avec l'écharpe.

Faut croire que j'aime bien me faire remarquer.